OÙ IL EST QUESTION DE FOYERS, DE CHAUDRONS, DE ROUES ET D’ELIXIRS ….

 

LES FOYERS CHINOIS

L'un des piliers de la médecine chinoise traditionnelle est le concept des Trois Foyers (qu'on appelle aussi Trois Réchauffeurs). Les Trois Foyers, qui ont chacun une localisation précise dans le corps, constituent l'usine énergétique du corps humain.

Le nom chinois des Trois Foyers est San Jiao. San est le chiffre trois, et Jiao signifie chauffer, griller, brûlé. C'est ce terme qui a été traduit par "foyers" ou "réchauffeurs".

Je reviendrai sur le rôle spécifique de chacun des Foyers, mais je voudrais d'abord m'arrêter au sens de Jiao, dont l'idéogramme (le caractère de droite sur l’illustration) évoque quelque chose qui est réchauffé par en-dessous.

San Jiao

L'une des métaphores fréquemment utilisées pour décrire le fonctionnement des Trois Foyers et celle du chaudron. Si on observe un chaudron dans lequel mijote de la soupe (vous pouvez aussi vous représenter une casserole sur votre plaque à induction, mais l'image est moins évocatrice ...). On voit que sous le chaudron brûle un feu de moyenne intensité, car des braises ne suffiraient pas, et des flammes trop vives feraient brûler le contenu. On peut aussi remarquer qu'un fumet de vapeur s'élève au-dessus de la soupe.

Cette notion de "feu de moyenne intensité", ou de “bonne chaleur”, est d'une importance primordiale, car il est évident que pour que l'usine des Trois Foyers fournisse l'énergie souhaitée, la qualité du contenu du chaudron est essentielle - en l'occurrence celle des aliments et des boissons ingérés - mais ce qui a été placé dans le chaudron doit être transformé, et cette transformation, opérée par le processus de cuisson, ne se déroule de manière optimale que si la chaleur fournie est adaptée, ni trop forte, ni trop faible. De cette manière, les éléments nutritifs pourront être assimilés et utilisés de la meilleure manière possible, en évitant de produire des déchets qui pourraient entraver le bon fonctionnement de l'organisme.

 

Le feu sous le chaudron correspond au Foyer Inférieur, qui occupe le bas de l'abdomen et abrite l'énergie des Reins. En médecine chinoise, la fonction organique des Reins correspond au système uro-génital, mais les Reins sont également le réceptacle de l'énergie ancestrale, soit le Qi et l'Essence transmis par les parents, un capital inné de qualité inégale chez les individus. On dit aussi que les Reins sont l'expression du Yin et de Yang "authentiques", c'est-à-dire le Yin et le Yang issus de l'Origine, du Tao. C'est la raison pour laquelle on parle de l'Eau (le Yin) et du Feu (le Yang) des Reins.

Cet aspect est très important, car le feu sous le chaudron est celui des Reins, qui n’a pas la même nature que celui du Coeur. Alors que le Feu du Coeur peut être excessif et causer diverses pathologies, celui des Reins ne peut être que correct (si le capital transmis est bon et que le mode de vie permet de le préserver), en produisant la “bonne chaleur”, ou insuffisant (si le capital de départ est faible et/ou qu'un mode de vie déséquilibré contribue à l'épuiser).

Dans la pensée chinoise, les Reins sont un réservoir, on dit qu'ils "thésaurisent" le Qi ancestral et l'Essence. Cela signifie que ce réservoir est idéalement plein au début de la vie, et qu'il se vide progressivement et naturellement avec l'âge. Le mode de vie a une grande influence sur la conservation ou non de l'énergie contenue dans les Reins : le surmenage, le manque de sommeil, l'agitation permanente ou une mauvaise alimentation, entre autres, vont affaiblir les Reins, et donc sa capacité à réchauffer le chaudron .... L'insuffisance d'énergie des Reins se traduit par de la fatigue, un manque d'endurance, des problèmes ostéo-articulaires, dentaires et auditifs.

Jing, l’Essence

Le chaudron, quant à lui, constitue le Foyer Moyen. Il correspond aux organes digestifs et donc aux fonctions chinoises de l'Estomac, de Rate-pancréas et du Gros Intestin. (l'Intestin Grêle a un statut un peu à part dans la mesure où il est associé au Coeur, mais sa fonction d'assimilation des nutriments est évidemment prise en compte). Le chaudron est le lieu ou s'opèrent les transformations : contrairement au Qi de l'air, qui est pur et peut être assimilé tel quel, les aliments et les boissons qui proviennent de la terre sont des éléments bruts qui doivent nécessairement passer par un processus de raffinage et de transformation avant de pouvoir être utilisés par l'organisme, c'est le rôle de la cuisson dans le chaudron.

Si la qualité des aliments et boissons est bonne et que la cuisson est adaptée, l'énergie produite sera optimale et fournira à l'organisme tout ce dont il a besoin. Un petit surplus pourra même être distribué aux Reins, ce qui ralentira leur inévitable déclin et contribuera à maintenir au fil des ans une bonne chaleur sous le chaudron, en formant un parfait cercle vertueux.

Par le passé, le problème avec le contenu du chaudron était, pour la majorité de la population européenne, principalement lié à l'insuffisance et au manque de variété. A l'heure actuelle, une mauvaise transformation des aliments et une production d'énergie insuffisante peuvent avoir des causes multiples : repas pris trop vite et à des horaires irréguliers (le système digestif est extrêmement routinier et fonctionne mieux s'il peut anticiper ses horaires de travail), aliments et boissons juste sortis du frigo ou accompagnés de glace (l'organisme doit fournir de l'énergie pour les réchauffer), aliments exotiques ou hors-saison (qui ne correspondent pas aux besoins de l'organisme), aliments "vides" qui génèrent plus de déchets que d'énergie, alimentation déséquilibrée (selon la diététique chinoise, excès d'aliments de nature "chaude", ou "froide" ou "humide"), stress (qui affecte à la fois le feu sous le chaudron et le chaudron lui-même).

Pendant l'enfance et la prime jeunesse, l'organisme est généralement capable de chauffer suffisamment le chaudron et de brûler tous les déchets, c'est pourquoi les adolescents ont cette extraordinaire capacité à métaboliser les cochonneries, mais sur le plus long terme les mauvaises habitudes alimentaires ont un prix. Cependant, nous avons tellement l'habitude de mal manger, en considérant que la nourriture lourde qui correspondait parfaitement à nos ancêtres paysans est toujours "saine", ou en subissant l'influence de la publicité, que nous avons souvent de la peine à voir (ou à accepter de voir ...) le lien de cause à effet entre notre façon de nous alimenter et nos problèmes de santé.

 

Une mauvaise transformation implique l'accumulation de déchets, et, selon les cas, un excès de chaleur ou d'humidité qui entravent le bon fonctionnement de notre organisme et causent de la fatigue, puis, avec le temps, diverses pathologies. De plus, lorsque l'énergie produite au niveau du Foyer Moyen est insuffisante, l'organisme va aller puiser dans la réserve, c'est-à-dire dans l'énergie des Reins, causant une déperdition supplémentaire et un cercle vicieux, puisque l'affaiblissement du Feu des Reins va rendre le processus de transformation du Foyer Moyen encore plus problématique. Les signes d'un mauvais fonctionnement du Foyer Moyen sont notamment les troubles digestifs de tous ordres, la fatigue, la sensation de lourdeur, le "brain fog" avec problèmes de mémoire et de concentration, la prise de poids ou au contraire l'amaigrissement.

 Le Foyer Supérieur quant à lui est représenté par le fumet qui s'élève au-dessus du chaudron, il est logiquement situé entre le haut de l'abdomen et la poitrine, et abrite les fonctions du Poumon et du Coeur. Le Poumon est en charge de la respiration, de l'assimilation du Qi de l'air, du ciel, qui est clair et léger. Le Coeur gouverne le sang, mais il est également le port d'attache des Esprits, eux aussi clairs et légers, venant du ciel, c'est pourquoi l'énergie qui leur parvient doit impérativement avoir été raffinée et purifiée, c'est le sens du fumet, de la vapeur subtile qui se dégage de la marmite et s'élève naturellement vers le ciel, en nourrissant au passage les deux fonctions de ce Foyer. Les principales pathologies du Foyer Supérieur seront donc des problèmes d'encombrement, d'accumulation, ou de faiblesse.

Dans la tradition chinoise, le bon fonctionnement des Trois Foyers fournit donc à l'organisme tout le combustible dont il a besoin au quotidien.

 

Les Trois Dan Tian

Il existe également une autre subdivision en trois niveaux, qui partage certains aspects avec les Trois Foyers, mais s'en distingue à plusieurs égards, il s'agit des trois Dan Tian.

Dan Tian signifie « champ de l’élixir » ou "champ de cinabre", le cinabre étant le nom du sulfure de mercure, dont la couleur est un rouge profond, qui évoque les processus alchimiques taoïstes. Les trois Dan Tian sont donc également des "chaudrons", des lieux de transformation et de transmutation, mais sur un plan plus subtil que les Trois Foyers.

 

Le Dan Tian inférieur, le "fourneau d'or" ou "champ de cinabre" à proprement parler, est localisé dans la partie basse de l'abdomen, sous le nombril, tout comme le Foyer Inférieur. A cet endroit, ces deux "lieux" énergétiques se recoupent, tant par leur localisation que par leur fonction, car l'un comme l'autre abritent l'Essence (Jing) des Reins, c'est-à-dire l'énergie ancestrale, innée, tout ce qui est transmis par les parents et qui va définir en partie les caractéristiques d'un individu.

 Le Dan Tian moyen, le "Palais Ecarlate" se situe au centre de la poitrine, et non au niveau du système digestif comme le Foyer Moyen. Il concerne davantage les fonctions du Poumon et du Coeur, mais est surtout le lieu d'élaboration du Qi, de la vitalité.

 Le Dan Tian supérieur, ou "boulette de boue" (en référence à la glande pinéale) se trouve au niveau de la tête, plus particulièrement entre les sourcils, c'est le lieu qui correspond au Shen, à l'Esprit. Le Dan Tian supérieur n'est pas à proprement parler un chaudron, un récipient, mais plutôt un réceptacle... Il contribue à la communication du Shen, c'est-à-dire l'Esprit -ou les esprits- incarné(s) dans un individu, avec le Ciel.

En recourant à une métaphore technologique -tout à fait appropriée, en l'occurrence- on pourrait comparer le Dan Tian supérieur à une antenne parabolique destinée à capter les messages du ciel. La taille de cette parabole est très variable selon les personnes, et, contrairement au capital énergétique des Reins, elle est susceptible de s'accroître grâce au développement de la conscience et des pratiques spirituelles. On peut préférer l'image de la corolle d'une fleur sur laquelle viennent se poser les abeilles célestes....

Les trois Dan Tian concernent l'élaboration et l'interaction de ce que la tradition chinoise appelle les Trois Trésors (San Bao) : l'Essence, le Qi et le Shen, déjà mentionnés précédemment. Ces notions sont très profondes et complexes, et ne peuvent être développées dans le cadre d’un article tel que celui-ci, mais rappelons que l’Essence est le capital inné. le Qi ce qu’on appelle communément l’énergie, et le Shen est une synthèse des notions occidentales de Coeur et d’Esprit.

Les Trois Trésors

 

Ce qu'il faut retenir, tant en ce qui concerne les Trois Foyers que les Trois Dan Tian, c'est qu'il s'agit de "lieux" du corps où se déroulent des processus de transformation énergétique d'une importante vitale. Ces deux concepts ne sont ni vraiment identiques, ni fondamentalement différents : ils décrivent la même chose sous des angles différents.

 

Le corps taoïste

 

 En étudiant le shiatsu et la médecine chinoise, ce genre de constatation a été pour moi une grande découverte, une sorte de déflagration intellectuelle : la pensée orientale accorde une grande importance à l'angle sous lequel on observe les choses. Sous un certain angle, les choses apparaissent d'une façon, mais sous un autre elles se manifestent d'une manière différente, et il n'y a ni contradiction ni incohérence dans ce phénomène. Imaginez-vous en train de regarder une plantation d'arbres parfaitement espacés et alignés sur un vaste carré; si vous vous placez en face de l'un des côtés du carré, vous constatez que les arbres forment des lignes, mais si vous observez la plantation depuis l'un des angles du carré, aucune ligne n'est visible, tout dépend du point de vue .....

LES CHAUDRONS CELTES

 

Le dieu Dagda et le chaudron d’abondance

 

Dans la mythologie celtique, les chaudrons jouent un rôle très important. Certains chaudrons étaient sacrés, et les guerriers considéraient que boire l'hydromel contenu dans ces récipients faisait d'eux des guerriers invincibles (au risque de décevoir ses fans, dont je fais partie, il faut donc admettre que Goscinny n'a rien inventé ....). Le chaudron de Dagda - l'un des principaux dieux celtiques - venait de l'Autre Monde et fournissait de la nourriture en abondance. La chaudron est également l'emblème de Ceridwen, déesse galloise de la renaissance et de la transformation; le breuvage qu'il contient est, sans surprise, une source de sagesse et de pouvoir.

 

Ceridwen

On constate, dans tous les cas, que, comme dans la tradition chinoise, le chaudron est un outil "magique" de transformation.

J'ai découvert assez récemment grâce à l'ouvrage "The Cauldron and the Drum, a journey into Celtic Shamanism" de Rhonda Mc Crimmon, que la tradition celtique en identifie plus particulièrement trois à l'intérieur du corps humain, qui sont responsables du bon fonctionnement énergétique de tout l'organisme, tout comme les Foyers chinois. Un célèbre barde du 8e siècle, Amergin Glùingel, les a décrits dans un long poème, "The Cauldron of Poesy".

J'éprouve toujours un immense sentiment de réconfort en découvrant que des intuitions et des observations aussi profondes sont présentes de manière très semblable dans différentes cultures. Ces visions ne sont pas identiques, car elles portent évidemment la marque de la civilisation dont elles sont issues et ne peuvent pas être superposées indépendamment de leur contexte, mais tout de même .....

 Voici ce qu'en dit Rhonda Mc Crimmon (ma traduction) :

 "Depuis les temps les plus anciens, les sages et les mystiques du monde entier ont identifié des centres énergétiques dans le corps humain : des lieux spécifiques, alignés sur la colonne vertébrale, qui sont associés à différents aspects de notre fonctionnement physique, émotionnel et spirituel. Ces centres énergétiques ont reçu différents noms au sein des diverses traditions culturelles et spirituelles. Par exemple, les yogis indiens nomment ces centres "chakras" et en ont identifié sept, répartis entre le sommet de la tête et le coccyx. Les sages chinois ont décrit trois "dantian", dont l'énergie peut être cultivée et conduite grâce à des pratiques telles que le tai chi et le qigong pour renforcer la santé physique et émotionnelle. Quelques tribus amérindiennes mentionnent également des centres énergétiques à travers lesquels l'âme entre dans le corps.

Les anciens Celtes considéraient que chaque être humain possède trois chaudrons internes, responsables de la préservation et de l'entretien de son énergie vitale. (...) ils pensaient que lorsque ces trois chaudrons fonctionnent en harmonie, l'être humain accède à la totalité de son potentiel".

 

Au sujet des trois chaudrons, le poème original énonce (ma traduction, toujours ...) :

 “Où se trouvent les racines de la poésie chez un individu; dans le corps ou dans l'âme ? Certains disent qu'elles sont dans l'âme , car le corps ne fait rien sans l'âme. D'autres prétendent que c'est dans le corps, là où s'apprennent les arts, qui nous ont été transmis à travers les corps de nos ancêtres. (...).

Que sont donc les racines de la poésie et de toute autre sagesse ? Ce n'est pas difficile : chaque individu naît avec trois chaudrons : le chaudron de la chaleur, le chaudron du mouvement et le chaudron de la sagesse".

Le chaudron inférieur est appelé coire goriath, ou chaudron de la chaleur, du réchauffement. Rhonda Mc Crimmon le définit comme le siège de l'ancrage et de la connexion, du sentiment d'appartenance et de la confiance. Elle le compare au gland, qui contient tous les éléments nécessaires à la croissance du chêne, métaphore qui est fréquemment utilisée en médecine chinoise pour définir la nature du Jing. Le poème d'Amergin précise que ce chaudron est bien droit à la naissance "et distribue la sagesse pendant la jeunesse [de l'individu]". Il est alors rempli à ras-bord de ce qui en gaélique est appelé brigh na beatha, soit "substance ou essence de vie". Cependant, si l'enfance est difficile et s'accompagne d'évènement traumatisants, le chaudron inférieur peut être déséquilibré et laisser échapper son précieux contenu, car les enfants ne sont pas encore capables de protéger et d'entretenir cette précieuse substance : seuls l'amour et les soins prodigués par les parents peuvent la préserver. Cette perte d'énergie et de vitalité, l'absence de verticalité et de stabilité du chaudron inférieur peuvent également être causée par la suite par différents aspects de la vie moderne : le manque de contact avec le monde naturel, le surmenage, etc....

Prendre soin de son chaudron inférieur repose principalement sur le ré-établissement d'un lien profond avec la nature et de l'appartenance à une communauté, quelle qu'elle soit. Les fêtes saisonnières sont une excellente occasion de renforcer ces deux aspects de notre vie. A la différence de l'Essence (Jing) chinoise, la brigh na beatha est renouvelable, elle peut se reconstituer même si elle est arrivée à la limite de l'épuisement.

Le chaudron moyen se nomme coire erma, soit le chaudron du mouvement, et il est en lien avec le coeur (qui bat) et les émotions (qui bougent et s’agitent facilement). C'est le siège de l'amour, de la compassion, mais aussi de l'"ombre" c'est-à-dire de toutes les blessures et traumas qui ont besoin d'être guéris. L'équilibre psychique et émotionnel dépend donc directement de celui de ce chaudron, qu'on appelle aussi celui de la "vocation", de la capacité que nous avons à trouver un sens à notre vie, à nous ouvrir au monde et à y participer de manière créative et bienveillante.

Le chaudron supérieur, ou coire sois, est le chaudron de la sagesse, il est localisé au sommet de la tête, et permet de recevoir ce que les Celtes appelaient imbas forosnai : la sagesse divine. Il s'agit d'une forme de portail, qui donne accès à l'inspiration, l'intuition et à la spiritualité. L'équilibre du chaudron supérieur permet de se sentir relié au divin, et donc soutenu quelques soient les évènements de la vie.

 C'est bien sûr l'équilibre et l'alignement des trois chaudrons qui détermine la qualité de la vie d'un individu. Ces trois étages doivent fonctionner et communiquer de manière harmonieuse.

 

 

CHAUDRONS CHINOIS ET CHAUDRONS GAULOIS

Même si, comme je le disais plus haut, ces deux conceptions ne sont pas absolument superposables, on constate tout de même d'évidentes similitudes:

 

La première est le chiffre trois, ici plus particulièrement la notion de trois "étages". Dans la numérologie chinoise trois est le symbole de la vie : un est l'unité primordiale, l'infini des potentialités, deux est le Yin-Yang, la polarisation, la différenciation et l'interaction, et trois est le résultat de l'interaction du Yin-Yang, soit les "dix mille êtres", la vie. Ce chiffre a également une grande importance dans le monde celte, beaucoup de divinités vont par trois, on identifie trois mondes (terre, mer et ciel), symbolisés par la triskèle, et les dolmens sont toujours formés de trois grandes pierres.

La seconde concerne la fonction et la signification de chacun des foyers/chaudrons : dans les deux cas, l’étage inférieur abrite le potentiel inné, ce qui est transmis par les parents et, en remontant plus loin, par la lignée des ancêtres. Dans la conception chinoise ce capital est comme l'huile d'une lampe: au moment de la conception, on en reçoit une certaine quantité, variable selon les individus en fonction de la manière dont ce capital a été géré par la lignée des ancêtres, qui va s'épuiser progressivement jusqu'à la fin de la vie.

Cela dit, un potentiel de départ faible ne condamne pas nécessairement à une vie courte et misérable, car tout dépend de la manière dont ce capital de départ est géré, et c'est le sens de toutes les pratiques de longévité taoistes. On peut aller très loin en entretenant bien sa deux-chevaux, comme on peut envoyer sa Porsche dans le décor après quelques virages. Comme mentionné plus haut, une très bonne qualité/quantité d'énergie acquise peut pallier, dans une certaine mesure, la faiblesse de l'énergie innée.

Dans la tradition celtique par contre, le chaudron inférieur commence toujours par être droit et plein, mais pendant l'enfance il est fragile et risque d'être bousculé. Il n'est donc pas tant question de prédispositions, ou de "terrain inné" que de prise en charge et de soins pendant les premières années de la vie.

 

Une autre différence importante est qu'un bonne conduite de la vie permet de régénérer largement le contenu du chaudron, même s'il a pu, à certains moments, être proche de l'épuisement total.

 En ce qui concerne les plans intermédiaire et supérieur, les chaudrons celtiques correspondent assez exactement aux Dan Tian : le Dan Tian moyen et le chaudron du mouvement ont à voir avec le coeur, les émotions, la compassion. Le Dan Tian moyen est le lieu où le Qi subit la transmutation qui produira le Shen au niveau supérieur. Cet aspect est intéressant, car selon la médecine chinoise, les émotions ne sont rien d'autre que du Qi; elles sont naturelles, liées à notre physiologie, et ne posent problème que si elles prennent trop de place et perturbent le Shen, justement, ce concept très particulier, très subtil, qui unit dans une même sphère le coeur et l'esprit, et qui occupe donc à la fois le Dan Tian moyen et le Dan Tian supérieur.

 

Shen

 

Dans la tradition celtique le chaudron moyen est celui du Coeur (selon l'acception courante en occident),  mais aussi ce qui nous permet de trouver notre voie, de donner un sens à notre vie. Ceci ne peut advenir que si nous nous sentons reliés au monde, que si nous avons l'intime conviction d'en faire partie de plein droit, d'y avoir notre place de manière naturelle et non conditionnelle, et d'être capables de la reconnaître.

 
 

Au terme de ce chapitre, je voudrais juste ajouter une petite note concernant le chamanisme …. J’ai cité l’ouvrage de Rhonda Mc Crimmon, car il contient des informations très utiles (et rares !) sur le concept des chaudrons celtes. Je suis toutefois plus réservée quant au « chamanisme» qu’elle enseigne, notamment à travers son site The Centre for Shamanism. J’ai eu l’occasion de rencontrer et de lire plusieurs personnes, européennes, qui se prétendent chamanes, et dont le CV très vague laisse penser qu’elles sont largement autoproclamées. Je pense qu’il faudrait clarifier ce qu’on entend aujourd’hui par le terme «chamane ».

De mon point de vue, un chamane est un être capable de communiquer avec les esprits de la nature, souvent au prix de pratiques assez dangereuses pour la santé mentale, mais qui opère au sein d’une culture et d’une communauté qui lui assurent de profondes racines. Ce type de chamanisme a par conséquent cessé d’exister sous nos latitudes depuis des millénaires. Le « chamanisme » occidental actuel est au mieux une « garden variety » de ce chamanisme originel, qui se rapproche beaucoup plus du coaching en développement personnel basé sur des pratiques traditionnelles, et c’est le cas de Rhonda Mc Crimmon.  La plupart du temps, les activités proposées (recherche de son animal totem, pratiques de purification, cercles de tambours, etc..) ne présentent aucun danger, mais, sérieusement, elles ne feront jamais de vous un chamane … dans le meilleur des cas juste une personne un peu plus centrée et apaisée (ce qui n’est déjà pas mal… )

 

 

LES ROUES TOURNOYANTES DES CHAKRAS

Même si le système des chakras n’inclut ni la notion de trois niveaux, ni celle des chaudrons, il est difficile d’ignorer certaines correspondances …

Les chakras ne sont pas des contenants, mais, littéralement, des roues, ce qui implique un constant mouvement circulaire ou spiralé, qui est rarement représenté dans les illustrations.

Comme je l’ai mentionné dans un autre article, la tradition nordique identifie aussi  des lieux énergétiques dans le corps, les neuf « Hvelir », ce qui en ancien norrois signifie également « roues ». Ils sont entre autres associés aux Neuf Mondes de la Mythologie nordique et aux runes, ce qui en ferait un article à part entière, peut-être pour plus tard ….

Les chakras sont quant à eux très bien documentés, et mes compétences en la matière sont limitées, mais je vais tout de même m’arrêter sur ceux qui correspondent aux chaudrons chinois et celtiques, car les notions fondamentales restent les mêmes et autorisent cette mise en lien.

Un ouvrage très intéressant, que je recommande sans réserve mais qui semble aussi malheureusement n’exister qu’en anglais est « Eastern Body, Western Mind » d’Anodea Judith, qui établit des parallèles très intéressants -et fondés- entre la nature des chakras et les approches occidentales telles que la psychologie jungienne, la thérapie somatique, le développement de l’enfant et la métaphysique.

 Le Dan Tian/Foyer inférieur et le chaudron inférieur correspondent bien entendu au premier chakra :

Muladhara est le chakra-racine, associé à la couleur rouge foncé, tout comme le « champ de cinabre » chinois. Il s’agit en substance du chakra de l’abondance, de l’enracinement, du sentiment de sécurité. Son élément est évidemment la Terre. Il s’active particulièrement durant la première année de vie, ce qui explique que sa solidité va dépendre largement de la relation de l’enfant avec sa mère, de la sécurité physique et émotionnelle que celle-ci saura ou non prodiguer. Anodea Judith parle à ce sujet des « fondations du temple », qui assurent la santé du corps, mais aussi la bonne intégration du corps et de l’esprit. Ces « fondations » impliquent également une bonne conscience des limites du corps, à la fois en termes de croissance et d’auto-protection.

On retrouve ici, comme dans la tradition celtique, la nécessité pour les parents -la mère ne particulier, pendant la première année de vie- de protéger le chaudron inférieur pour qu’il reste bien droit.

L’émotion susceptible de menacer l’équilibre du premier chakra est la peur, qui en médecine chinoise est associée à l’énergie des Reins, c’est-à-dire au Foyer inférieur. La peur profonde, car on ne parle pas ici de petites frayeurs, est en effet ce qui ébranle les fondations et draine les glandes surrénales.

Muladhara, comme le Dan Tian inférieur et le chaudron du réchauffement celte, s’épanouissent donc dans l’abondance et dans le sentiment de sécurité.

Sur sa chaîne YouTube « Changer la vie » (que je recommande aussi chaudement), l’hypno-thérapeute québécoise Marie-Noëlle Doublet propose sept sessions sur les chakras, et dans celle qui concerne Muladhara, l’une des images proposées est une lente promenade à dos d’éléphant au milieu de grandes fleurs rouges … qui est simplement magnifique !!!!

 

 

Le Dan Tian médian et le chaudron du mouvement correspondent au quatrième chakra, Anahata, le chakra du Cœur. Comme le dit Anodea Judith (ma traduction, encore et toujours) : «  (…)  nous arrivons maintenant au cœur même du système des chakras (…) de même que les plantes verdoyantes en pleine croissance, qui poussent vers le ciel à partir de leurs racines terrestres, nous nous étirons aussi dans deux directions – en ancrant le courant d’énergie de la manifestation dans la profondeur de notre corps et en laissant le courant de la libération s’épanouir en dehors de nous-mêmes. Dans le chakra du Cœur ces deux courants sont en parfait équilibre au centre de notre être. A partir de ce centre sacré – le cœur du système- nous avons accès au mystère de l’amour ».

Le chakra du Cœur est bien sûr celui de l’amour (humain et universel), de la compassion, des émotions (en particulier la joie), de l’équilibre, mais aussi du « mariage alchimique » de Jung, de l’équilibre entre l’animus et de l’anima, entre le masculin et le féminin en chacun de nous, qui nous permet d’avoir des relations harmonieuses avec les autres.

La tradition celtique inclut dans chaudron du mouvement la « vocation », c’est-à-dire la capacité à trouver sa place et son chemin dans le monde, ce qui ne peut se produire que si nous avons construit un sens suffisamment fort de notre identité, qui est aussi au centre du chakra du Cœur.

 

Le Dan Tian supérieur correspond exactement au sixième chakra, Ajna, le chakra du « troisième œil », alors que le chaudron supérieur, celui de la sagesse, est plutôt localisé au sommet de la tête, à l’emplacement de Sahasrara, le chakra couronne, mais dans la réalité des concepts chinois et celtiques la signification de ces deux derniers chakras se confondent.

 Ajna est lié à la clarté de la perception, de la vision, c’est un espace très pur, comme le Shen chinois. Selon Anodea Judith, Sahasrara, le septième chakra « S’ouvre sur le Mystère du Ciel » : c’est aussi un lieu de lumière et de pureté, la zone de contact entre l’esprit infusé dans notre corps et les esprits célestes avec lesquels il peut dialoguer pour autant que nous soyons parvenus à déployer suffisamment les mille pétales de ce lotus, à les rendre assez purs et accueillants pour que les esprits viennent s’y poser délicatement et murmurent à nos oreilles …..

 
 

Depuis la nuit des temps, toutes les sociétés humaines se sont posé la question des mécanismes de la vie, et de la manière de la préserver. Je suis toujours très touchée de découvrir que de nombreuses cultures anciennes, celles qui n’opèrent pas de séparation entre le corps et l’esprit, ont élaboré des modèles tout à fait comparables …. La sensation est un peu celle de percevoir fugacement les structures et les mouvement invisibles qui sous-tendent l’existence du monde, que nos ancêtres comprenaient bien mieux que nous … 

Les Anciens avaient une conscience et une perception de la vie beaucoup plus globale que la notre, qui devient toujours plus précise, mais qui se fractionne et s’éparpille chaque jour davantage. Retisser les fils, relier les points, recréer des liens, se reconnecter à l’organisation invisible du monde est une action essentielle, vitale, dans laquelle nos ancêtres, et ceux de l’humanité toute entière nous guident avec bienveillance ….

Prenez soin de vos chaudrons et ouvrez vos corolles, c’est ce dont le monde a besoin …..

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LES RUNES