L’art du thérapeute

Avec la création en Suisse du diplôme en Thérapie Complémentaire, de nombreuses méthodes prétendent désormais au titre de « thérapie », et il vaut la peine de prendre un peu de temps pour réfléchir à ce que ce terme signifie. Ceci d’autant plus que parmi les méthodes en question, nombreuses sont celles qui ont longtemps existé sans être considérées comme thérapeutiques (eutonie, rebalancing, travail corporel aquatique, par exemple) ou se trouvent depuis toujours à la limite entre les pratiques de bien-être et la thérapie (shiatsu, réflexologie, kinésiologie, acupressure, etc..). Il s’agit donc d’un sujet aux contours assez flous, que le concept de Thérapie Complémentaire est supposé clarifier et compléter.

 Comme souvent lorsqu’on s’interroge sur le sens d’un mot, on commence par ouvrir le dictionnaire  :

« La thérapie est un moyen de prévenir, traiter, soigner ou soulager une maladie », il s’agit d’une définition apparemment simple, et la notion de « maladie », est officiellement décrite de la manière suivante :

« Généralement, la maladie se définit comme une entité opposée à la santé, dont l'effet négatif est dû à une altération ou à une désharmonisation d'un système à un niveau quelconque (moléculaire, corporel, mental, émotionnel…) de l'état physiologique ou morphologique considérés comme normal, équilibré ou harmonieux ».

 Notions de santé et de maladie    

Pour la médecine traditionnelle orientale, la notion de santé/maladie est un peu différente, car certaines « maladies » au sens occidental sont en réalité perçues comme une manifestation de la santé de l’individu, par exemple le classique refroidissement, qui est en réalité une réaction saine – pour autant qu’elle soit brève et efficace- de l’organisme à une attaque externe.

Il apparaît néanmoins qu’en Occident comme en Orient, la santé semble être fondamentalement la capacité à restaurer l’équilibre à chaque fois qu’il est perturbé par des éléments externes ou internes.

La santé est-elle simplement l’état dans lequel on se sent bien ? Ou alors, comme le dit la définition, l’état qu’on « considère comme normal » ? Dans les deux cas, il s’agit de quelque chose d’éminemment subjectif, et il est certain que la maladie chez l’être humain est un enchevêtrement inextricable d’aspects somatiques, psychiques et émotionnels,  présents dans des proportions variables.

 Si on observe les animaux, on constate, me semble-t-il, que les animaux sauvages ne souffrent que de problèmes somatiques, de maladies dues à l’environnement (parasites, empoisonnements, blessures, etc..) alors que chez les animaux domestiques les facteurs de stress induits par la proximité avec la société humaine deviennent également une cause de maladie.

Les animaux très évolués que nous sommes sont donc, en gros, soumis à ces deux étiologies : ce qui vient de l’extérieur et ce qui vient de l’intérieur. A cette situation déjà assez complexe s’ajoute encore un autre facteur, typiquement humain, qui est le regard porté sur le dysfonctionnement ou la pathologie, la manière dont chaque individu accepte, ou non, intègre, ou non, ce qui lui arrive.

Le rôle du corps médical est assez bien défini : poser un diagnostic, avec tous les moyens médicaux disponibles, et engager un traitement, avec tous les moyens médicaux disponibles. Ce système fonctionne parfaitement bien dans le domaine de la traumatologie, par exemple, mais il laisse apparaître des lacunes dans de nombreux autres domaines, en particulier face aux pathologies dans lesquelles le mode de vie, l’alimentation et l’état psychologique des patients jouent un rôle considérable, car la multiplicité des facteurs devient pratiquement ingérable. Un certain nombre de médecins, en particulier les spécialistes, choisissent de se frayer un passage dans cette jungle à coups de machette en suivant la seule piste des données médicales quantifiables, mais les résultats sont souvent mitigés.

 

Le rôle de la thérapie (complémentaire)

Quel est alors le rôle des thérapeutes, qui sont supposés soutenir ces processus gouvernés par les médecins ?

 L’OrTra TC fournit une description de la profession extrêmement détaillée (voir www.oda-kt.ch/fr/ onglet « Bases de la Thérapie Complémentaire »), et visiblement élaborée avec enthousiasme par des esprits très organisés … dans des bureaux, et selon des critères très helvético-compatibles. Dans la réalité des cabinets, l’approche sur rails en quatre étapes, par exemple,  peut vite prendre un tour très artificiel…..

 Que signifie « soutenir un processus thérapeutique » ? Pour tous les patients (je refuse personnellement le terme de « client » : si nous sommes des thérapeutes, nous avons des patients, point final) le soutien commence par l’accueil et l’acceptation sans conditions. A ce stade, même après l’anamnèse, il ne devrait pas encore y avoir de « projet thérapeutique » quel qu’il soit, car toutes les portes et les possibilités doivent rester ouvertes. Une personne est entrée dans la pièce de traitement enveloppée dans le nuage de son énergie propre, de ses soucis, de ses douleurs, de sa vision du monde et de ses attentes face au thérapeute. Le thérapeute (ce qui, ici et par la suite, signifie aussi la thérapeute, faisons l’économie de l’orthographe inclusive) quant à lui/elle est là, présent, théoriquement réceptacle neutre et bienveillant. Mais aucun thérapeute n’est « neutre » ….

 Ce sont précisément les qualités distinctives du thérapeute qui vont rencontrer celles du patient (et de la patiente, même remarque que précédemment)… ou pas. Le lien va peut-être s’établir immédiatement, ou se créer petit à petit, et dans quelques rares cas la relation ne fonctionne simplement pas. Pour des raisons liées au bouche-à-oreille, probablement aussi à l’alignement des planètes et au jeu malicieux des Esprits, l’arrivée de certains patients chez un thérapeute donné semble n’être jamais aléatoire, et selon mon expérience, la relation s’établit presque toujours, d’une manière ou d’une autre.


 Tout cela n’indique toujours pas vraiment ce qu’est la « thérapie » …..  De mon point de vue, appliquer des méthodes et des techniques, même avec une grande compétence, ne suffit pas. La thérapie, c’est la méthode + quelque chose, et ce quelque chose est ce qui transforme une technique en lien, en relation, ce qui va véritablement mettre en route un processus de guérison.

 

Comprendre l’esprit du patient

 Par conséquent, quel que soit le nombre de connaissances dont on dispose pour poser un diagnostic et orienter le traitement, il est essentiel de commencer par les oublier.

 La médecine traditionnelle chinoise dit qu’avant toute autre chose il convient de ne pas « manquer l’enracinement aux Esprits » (Lingshu, chap. 1). Dans le très beau livre « Les Mouvements du Cœur », Claude Larre et Elisabeth Rochat de la Vallée l’expliquent de manière très poétique : « Il (le Grand acuponcteur) sait qu’un bon praticien émet un diagnostic qui remonte de lui-même jusqu’aux Esprits de son patient, qui lui font des signes de reconnaissance ; les Esprits communiquent librement entre eux (…) C’est ce qui lui permet d’aller avec ses Esprits jusqu’aux Esprits (…) ». Ce précepte fondamental est très souvent négligé par des praticiens impatients de « cerner » leur patient grâce aux connaissances qu’ils ont acquises pendant leur formation. Mais faut-il vraiment cerner le patient ? Le thérapeute n’est pas un chasseur, et, au bout du compte, le but ultime n’est même pas de poser le bon diagnostic ni d’effectuer ce qui semble théoriquement être le bon traitement.

Shen, Esprit

 

Avant de se précipiter pour « faire quelque chose » (ce qui est effectivement ce que le patient attend, de prime abord, et cela peut engendrer une certaine pression …) le thérapeute devrait d’abord rester patiemment assis face au nuage mouvant formé par l’énergie de son patient et capter, observer, essayer de comprendre comment tous ces éléments s’articulent, ce qui bouge et ce qui ne bouge pas, ce qui est lumineux et ce qui ne l’est pas. Parce que le patient, c’est cela, c’est ce nuage, et tenter de le faire entrer d’emblée dans des cases va causer la perte de la vision d’ensemble et inévitablement laisser de côté des éléments qui sont peut-être essentiels. Il faut laisser aux Esprits le temps de se rencontrer ….

 

Je pense que « comprendre l’esprit du patient » est une pratique de chamanisme modeste. Tous les thérapeutes (et là, c’est vrai, il faut admettre que certaines prédispositions sont quand même nécessaires, tout le monde n’est pas fait pour cela) ont accès à l’arrière-boutique de leur cerveau, là où une sagesse et une intelligence ancestrales sont à l’œuvre et éveillent des intuitions, éclairent des pistes. Pour beaucoup de praticiens, tout le problème est de leur faire confiance, mais rassurez-vous, que vous leur fassiez confiance ou non elles sont là….

 

Selon les Textes Anciens de la médecine chinoise, les Esprits (le Shen) viennent du Ciel, et comme le disent encore Claude Larre et Elisabeth Rochat de la Vallée : « On parle de conduire sa vie ; on pourrait être plus précis et parler plutôt de la tenue en rênes des souffles qui me constituent par les Esprits que le Ciel m’envoie en abondance et en permanence. Ces Esprits se plaisent à demeurer quand ils se sentent accueillis ». La première condition pour devenir un bon thérapeute est donc de savoir créer en soi l’état de calme intérieur qui permet l’accueil des Esprits, comme l’ouverture d’une vaste corolle capable de recevoir ce que le Ciel donne. Comme il s’agit toujours de symboles et d’images, les Esprits chinois peuvent bien entendu prendre d’autres noms et avoir d’autres origines, car ce qu’ils représentent est universel.

 

 

Le but du traitement

 Si le premier objectif n’est pas de poser le bon diagnostic ni d’effectuer le bon traitement, quel est-il ? Je dirais que comme l’ont très bien démontré les fondateurs de l’ostéopathie fluidique comme Sutherland et Becker, il faut d’abord amener le « système » (entendez par là l’ensemble physique, psychique et émotionnel que constitue le patient) à un état d’apaisement … Si les flux des liquides et de l’énergie se calment sous l’effet d’une respiration plus lente et profonde, si l’esprit et les mains du thérapeute sont à même d’assister et de guider cet apaisement, n’importe quelle intervention plus « technique », que ce soit une mobilisation, la pose d’aiguilles ou l’administration d’un remède, sera mille fois plus efficace.

 Le but ultime est que le patient commence à avoir confiance en sa propre capacité de guérir, dans le meilleur des cas, mais, lorsque cela n’est pas possible, de dépasser l’angoisse et le désespoir pour continuer à vivre une belle vie malgré la maladie. 

 Selon une expression anglo-saxonne “True healing is not the fixing of the broken but the rediscovery of the unbroken” c’est-à-dire “Le vrai art de soigner ne consiste pas à réparer ce qui est cassé, mais à redécouvrir ce qui ne l’est pas ». Le rôle du thérapeute, c’est précisément cela : restaurer la confiance dans la force de vie, quels que soient les souffrances et les obstacles. Si ce but est atteint, l’état du patient va immanquablement s’améliorer.

Je pense que beaucoup d’entre nous ont fait l’expérience de visites chez des thérapeutes impitoyables, qui assènent leur diagnostic de manière très détaillée, appliquent leur traitement comme si c’était là leur seul rôle, et vous laissent déprimé et découragé si le résultat ne ressemble pas à ce qui devrait être l’inévitable conclusion positive de cette impeccable maîtrise.

Par contre, les thérapeutes moins catégoriques qui valorisent vos points forts et vos ressources vous portent et vous aident à avancer même si vos symptômes ne présentent pas d’améliorations spectaculaires, parce que ce n’est pas encore le moment, parce que quelque chose n’est pas prêt, à un autre niveau, ou parce qu’il va falloir apprendre à vivre avec le problème en question, à l’apprivoiser, à trouver le moyen d’en réduire l’impact négatif. Ces thérapeutes parlent à vos Esprits, les apaisent et les encouragent.

Ce qui importe pour le patient est d’accepter ce qui est, et d’intégrer la maladie dans la globalité de la vie en acceptant les découvertes positives qui peuvent en découler, plutôt que de la considérer comme une sorte de boulet dont il faut à tout prix se libérer pour pouvoir recommencer à vivre « comme avant ». Toutes les maladies du vieillissement sont de cet ordre : rien ne sera plus jamais « comme avant » ….. certaines personnes l’acceptent assez facilement, mais pour d’autres ce constat est très difficile à admettre et à intégrer..

 

Eduquer le client

Le précepte de la Thérapie Complémentaire avec lequel je me trouve en franc désaccord est l’idée selon laquelle le thérapeute se doit d’”éduquer” son client (sic). Les parents éduquent, les éducateurs éduquent, mais de mon point de vue ce n’est pas le rôle des thérapeutes.

 Quel praticien ne s’est jamais retrouvé à expliquer patiemment à son patient qu’il devrait se reposer / boire moins de café / faire de l’exercice / renoncer à la fondue le soir  alors que tous deux savent pertinemment que cela n’arrivera pas ? A proposer des exercices que le patient fera trois fois avant de les oublier ? Tout le monde sait ce qu’il faut faire, il est inutile de répéter en boucle ce qu’on trouve dans tous les magazines féminins. Le vrai défi consiste à comprendre pourquoi les êtres humains ont tant de difficulté à abandonner des comportements et des habitudes qu’ils savent être nuisibles à leur santé.

 

La médecine chinoise nous apprend que la santé et l’équilibre intérieur ne peuvent être atteints que par le respect des grandes « lois naturelles », en adaptant notre comportement aux saisons par exemple. L’univers est comme une grande roue qui tourne inexorablement, et nos vies humaines sont de petites roues qui tournent, elles aussi. Si leur mouvement est en phase avec celui de la grande roue cosmique, tout va bien, mais si les petites roues pensent qu’elles peuvent tourner à l’envers si ça leur chante, se mettre en travers ou accélérer parce qu’elles trouvent que c’est mieux, les problèmes commencent. Et nous faisons ça tout le temps. Cela nous ramène aux Esprits, car à votre avis qui descend de la Grande Roue céleste pour aider les petites roues à trouver le bon rythme ?

 

Les patients n’ont pas besoin d’être éduqués, ils ont besoin d’être reconnectés, de retrouver le lien avec leurs Esprits, avec la nature, avec le rythme du vivant, et cela un bon thérapeute (complémentaire) peut y contribuer.

Le « safe space »

Le « safe space », ce petit enclos de calme et de sécurité, est ce que les thérapeutes peuvent créer autour d’eux et offrir à leurs patients. Un proverbe indien dit « Il faut faire des pauses pour laisser à notre esprit le temps de nous rejoindre », c’est exactement ça ….



 

Quelle que soit la méthode, la technique utilisée, il importe qu’elle soit pratiquée dans cet environnement, où le thérapeute prend tout le temps nécessaire à accueillir, à écouter, à laisser l’énergie du patient se poser. Il faut accepter les silences comme les déversements de paroles, les tensions, les réticences, les demi-mensonges qui cachent les vérités profondes, les plaintes agaçantes, les plongées dans le sommeil : tout cela a le droit d’être là, comme un paquet de ficelles emmêlées, qui vont peu à peu se détendre et laisser entrevoir au thérapeute l’endroit où poser délicatement un doigt -au propre comme au figuré- pour aider la chaîne à se repositionner pour un moment sur le bon braquet de la petite roue …

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Art et thérapie

 Au Japon, le shiatsu, par exemple, est considéré non comme une méthode mais comme un « art » au même titre que l’art du thé, du sabre ou des arrangements floraux. Quelle est la différence ? La définition qu’on trouve sur le site universdujapon.com donne des pistes : « (…) Forts d’une culture locale extrêmement raffinée, qui prône l’élégance et le respect des traditions, les arts japonais représentent une source de sagesse infinie. C’est pourquoi ils sont riches de sens pour celui qui les pratique ».

 L’art au sens des arts traditionnels implique une parfaite maîtrise technique, qu’il s’agisse du maniement d’un katana (il vaut mieux …) ou du petit fouet en bambou pour diluer le matcha, à laquelle s’ajoute quelque chose, qui résulte précisément de la maîtrise technique : un état de détente intérieure, un vide paisible permettant d’accueillir tout ce qui vient, samouraï armé jusqu’au dents ou patient déprimé.

 

L’outil ne vaut que par la main qui s’en sert, et on peut parler d’art lorsque cette main est guidée par le cœur, le Shen, les Esprits.

En effet, ce sont eux qui font de notre métier une pratique riche de sens, une pratique de lien, de re-tissage : entre nous et nos Esprits, entre nous et nos patients, entre nos patients et leurs Esprits…..

Ce sens profond est d’ailleurs aussi celui de la rune Gyfu, qui fera probablement l’objet d’une prochaine publication …… ;)

Ces observations sont l’essentiel de ce que  35 années de pratique (du shiatsu, mais aussi de l’acuponcture et d’autres découvertes intégrées le long de la route) m’ont permis de comprendre.

J’ai beaucoup appris -et j’apprends encore !- en cabinet, mais le centre à partir duquel se produisent tous ces échanges est nourri chaque jour au contact des champs et la forêt, et j’exprime toute ma gratitude à Mifune sensei, mon compagnon de promenade, dont la totale présence au monde est le plus précieux enseignement …..

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 


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